Résister ensemble : récits et impact des mobilisations locales face à la disparition des services publics à Vielmanay

10/10/2025

Aux racines d’une mobilisation rurale : Vielmanay et ses services publics

Dans la campagne de la Nièvre, Vielmanay, comme tant d’autres petits villages du Centre de la France, a vu s’effacer au fil des décennies plusieurs de ses services publics essentiels. Si la fuite de la Poste ou la fermeture d’une classe peuvent sembler n’être, au regard de l’actualité nationale, que de brefs soubresauts dans la grande histoire administrative, elles remuent ici des réalités profondes : attachement au lien social, enjeux de transmission, et surtout, sentiment d’abandon. À chaque menace ou fermeture effective, des formes de mobilisation — discrètes ou sonores — se sont dessinées.

Pour comprendre l’histoire des mobilisations locales à Vielmanay, il faut s’arrêter sur le calendrier des grandes fermetures. En s’aidant des bulletins municipaux, des archives du conseil départemental et des récits des habitants, on voit se dessiner une chronologie :

  • 1978 : Fermeture du bureau postal, desservant jusqu’alors toutes les campagnes alentour.
  • 1993 : Suppression de la gare de Vielmanay sur la ligne secondaire qui la reliait à La Charité-sur-Loire.
  • 2004 : Regroupement scolaire avec la fermeture définitive de la dernière classe de l’école communale.
  • 2012 : Arrêt de la permanence hebdomadaire de l’assistante sociale départementale.

À chacune de ces annonces, des formes d’opposition se sont manifestées, très ancrées dans le tissu social local. Leurs histoires permettent de quitter la grande abstraction des “services publics en milieu rural” pour toucher la chair même du village.

Le carnet de la Poste : premières pétitions, premières colères

Le bureau de poste de Vielmanay, installé depuis 1896 au rez-de-chaussée de la mairie, était plus qu’un guichet : on y allait envoyer ses chèques vacances, faire renouveler son livret, ou simplement glaner des nouvelles du voisinage. Lorsque, en février 1978, la Direction départementale des Postes annonce une réorganisation jugée “nécessaire en raison de la baisse du trafic”, l’émoi est immédiat.

Jean B., agriculteur alors jeune élu municipal, se souvient (témoignage recueilli en 2018) : “La première assemblée, on était une trentaine. Personne à la mairie n’avait reçu de courriers officiels, on a appris par l’employée elle-même qu’elle emballe les cases. Alors, une vieille machine à écrire, plusieurs feuilles de papier carbone, et la pétition a circulé de maison en maison.”

En mars 1978, plus de 146 signatures sont recueillies (source : archives communales de Vielmanay, dossier Postes 1978). Ce chiffre aura étonné : le village comptait alors 300 habitants, les absents ont souvent signé lors d’un passage au marché de La Charité. La pétition fut transmise à la sous-préfecture, et une délégation d’élus obtint un entretien, sans résultat tangible.

  • L’impact ? La Poste n’a pas reculé, mais l’employée bénéficia d’options de reclassement.
  • La commune obtint que la tournée du facteur ne soit pas réduite à une fois par semaine, contrairement à d’autres communes alentours.
  • Un service temporaire de dépôt de courrier dans un commerce fut mis en place, pour 18 mois.

Ce moment-là marqua la prise de conscience des habitants : mobiliser localement peut, parfois, faire moduler une décision, sinon l’annuler. On y gagne des aménagements : horaires préservés, solutions de transition, maintien du lien social, fût-il fragile.

La “der des der” de l’école : quand les parents s’engagent

Peut-être plus encore que la Poste, c’est la fermeture progressive de l’école communale qui a cristallisé les mobilisations des années 1990 et 2000. Déjà, la fermeture du second poste d’enseignant en 1996, qui sonnait le glas de la classe enfantine, avait été vécue par les familles comme une amputation. Le Regroupement Pédagogique Intercommunal (RPI) avec Beaulieu-sur-Loire promettait de maintenir la scolarité à Vielmanay pour au moins une classe. Mais la baisse continue des effectifs (17 élèves en 2002, 14 en 2003…) et le principe du “regroupement à seuil plancher” appliqué partout dans le département interdirent, à court terme, l’utopie d’un maintien éternel.

Au Conseil municipal du 12 avril 2003, la maire lit une lettre du Rectorat : sans 15 élèves inscrits, la classe fermera en juillet 2004. Aussitôt, les familles prennent la parole. La salle des fêtes abrite une assemblée improvisée où, au hasard d’une feuille volante passée à travers les rangs, surgissent des idées :

  • Pétitions envoyées à l’Inspection d’Académie et au député (archives municipales, 2003-2004), recueillant 183 signatures de Vielmanay mais aussi des communes proches.
  • Organisation, durant le printemps, de journées “portes ouvertes” et d’ateliers de découverte, pour attirer de nouveaux élèves des communes voisines.
  • Contact avec un journaliste du Journal du Centre, qui relaye localement l’inquiétude de la population (édition du 7 mai 2004).

L’école ferme tout de même en juillet. Les parents auront gagné, estime-t-on chez eux, une “année de sursis” par rapport à la première annonce. Surtout, une initiative est restée : une “rampe de covoiturage” pour le transport des enfants (mise en service dès septembre 2004), regroupant 7 familles, a durablement marqué le paysage des solidarités nouvelles.

L’adieu au train : la disparition de la gare et les stratégies d’adaptation

Plus discrète mais non moins marquante, la suppression du point d’arrêt ferroviaire de Vielmanay en 1993 a laissé une métaphore : celle du village “ralenti”. La gare, construite en 1887 lors de la mise en service de la ligne Decize-La Charité, ne voyait plus passer que deux trains matin et soir dans les années 1980 (INSEE, “Territoires et mobilités rurales”). Les usagers — essentiellement ouvriers agricoles et écoliers — s’organisaient communément pour mutualiser les déplacements.

À l’annonce de la fermeture :

  • Les usagers réguliers se mobilisent en rédigeant une lettre collective au président de la SNCF (1989), sans réponse autre qu’une standardisée.
  • Un “bus de substitution” promu par la Région Bourgogne est mis en place pendant trois ans (1993-1996), avant de s’arrêter faute de fréquentation suffisante, le trajet étant jugé plus lent que la voiture individuelle (source : rapport Conseil régional, 1997).

Là encore, si la mobilisation n’a pas suffi à sauver la gare, elle a permis des ajustements temporaires. Certains habitants, tel Raymond L., parlent du “dernier café du quai, organisé en juin 1993 avant le départ du train n°8465” : moment d’échange, de photo collective, et surtout, naissance d’un petit comité bénévole pour aider à organiser des solutions de co-voiturage notamment vers les gares voisines.

Des mobilisations aux solidarités nouvelles

L’une des grandes leçons de ces mobilisations locales est leur caractère pragmatique et résilient. Les habitants de Vielmanay — loin des clichés sur des campagnes figées — ont démontré, au fil du temps, leur capacité à inventer des solutions et à préserver le “souffle collectif” du village, même au-delà des sentiments d’impuissance face aux décisions étatiques.

Quelques éléments concrets illustrent cette dynamique :

  • Naissance du Comité des fêtes élargi : Ce collectif a, dès la fermeture de l’école, intégré des missions nouvelles : organisation d’aides aux familles isolées, coordination d’un “panier lecture” (dépôt de livres chez les commerçants, avec l’aval de la médiathèque intercommunale), mise en place de permanences d’aides administratives deux fois par mois en mairie.
  • Montée du numérique rural : À la suite de l’arrêt de la permanence de l’assistante sociale, la mairie a proposé, avec le soutien du Conseil départemental (2012), l’installation d’un “point d’accès numérique” pour les démarches administratives en ligne, accompagné d’ateliers pour les seniors. La fréquentation a progressé après la campagne papier “Un rendez-vous, pas à pas” distribuée en boîte aux lettres (archives mairie, 2013).
  • Soutien aux personnes fragiles : Sous l’impulsion d’anciens membres du CCAS (Centre communal d'action sociale), un micro-service de portage de courses, initialement bénévole, a vu le jour en 2015, desservant jusqu’à 12 personnes âgées isolées par semaine (source : rapport CCAS Vielmanay, 2017).

Ces innovations locales n’effacent pas la souffrance sociale liée à la fermeture des services, mais témoignent d’une vitalité souvent méconnue. Le tissu associatif, renforcé par ces épisodes de mobilisation, demeure le principal vecteur de la cohésion villageoise.

Une mémoire vivante, un défi permanent

En parcourant les archives municipales, les articles de presse du Journal du Centre et les témoignages recueillis auprès des habitants, on retrouve, à chaque étape, la même énergie : celle de se battre “pour ne pas disparaître à petit feu”. Ce qui marque le plus n’est pourtant pas tel cas d’école, ni la fermeture d’un guichet, mais la capacité du village à transformer le danger en sursaut, en appel à la solidarité.

Vielmanay, comme tant d’autres villages nivernais, n’a peut-être pas sauvé ses services publics. Mais chaque mobilisation — pétition, manifestation, cérémonie d’adieu, nouvelle association — a semé des graines durables : la mémoire partagée d’un combat, l’envie de s’impliquer davantage, un capital social préservé. La transmission passe par là, dans la chaleur d’un témoignage confié, ou dans la poignée de main échangée au détour d’un chemin.

À l’heure où les territoires ruraux s’interrogent sur leur avenir, Vielmanay rappelle que les mobilisations locales, bien plus que de simples protestations, inventent d’autres façons de vivre ensemble — et, à leur manière, écrivent de nouvelles pages de l’histoire villageoise.

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