Vielmanay dans la tourmente de la Grande Guerre : vies bouleversées, mémoire locale

08/08/2025

Un village rural embarqué malgré lui dans le tumulte de 1914-1918

Août 1914 : à Vielmanay, petit village de la Nièvre en lisière de la forêt des Bertranges, la vie paysanne suit son rythme, à peine troublée par les échos lointains des tensions internationales. Pourtant, l’ordre de mobilisation générale claque bientôt sur la place du village, bouleversant l’apparente quiétude de la commune. Les hommes en âge de combattre partent en hâte vers Clamecy et La Charité, laissant derrière eux familles et champs, sur le pas de porte des maisons qui, plus que jamais, deviendront le centre du monde pour celles et ceux qui restent.

Vielmanay, comme tant de communes rurales françaises, va être transformée par la saignée de la Grande Guerre. L’histoire nationale croise alors l’histoire locale : les grands événements rencontrent la petite histoire, celle qui s’inscrit dans les carnets, les lettres, les noms gravés sur le monument aux morts.

Le départ des hommes de Vielmanay : entre engagement et séparation

Le 2 août 1914, la mobilisation frappe les familles : les hommes de 20 à 48 ans (classes 1866 à 1894) doivent rejoindre, souvent à pied ou à vélo, les gares de départ. Sur les registres matricules du canton de la Charité-sur-Loire (Archives départementales de la Nièvre, 1R 138), on retrouve une quarantaine de jeunes hommes nés à Vielmanay, soit environ 10 % de la population totale du village à l’époque (recensement de 1911 : 405 habitants). Certains partent avec enthousiasme, la plupart avec gravité, tous dans l’incertitude.

Dans les lettres retrouvées (source : recueil « La Guerre dans la Nièvre », AD58), la nostalgie du pays affleure. Le soldat Pierre Blanchard écrit en septembre 1914 : « J’espère que les vendanges seront bonnes, il faut que tout le monde s’entraide au village. Que Dieu vous garde de malheur. » À travers ces mots, transparaît la conscience aiguë de laisser derrière soi une communauté fragile.

Le quotidien des femmes, des enfants et des aînés restés à Vielmanay

Avec la mobilisation, Vielmanay voit sa population active masculine amputée. Les femmes prennent en charge les travaux agricoles : labourer, soigner les bêtes, moissonner, récolter. La solidarité s’organise auprès des plus âgées et des familles nombreuses. Le Conseil municipal, par des délibérations (archives communales 1914-1918), décide de répartir les terres en jachère et d’accorder des aides aux blessés et veuves.

  • Écoles rurales : Les institutrices remplacent parfois l’instituteur parti au front. L’école devient un lieu de collecte de vêtements pour les soldats et de transmission des toutes dernières nouvelles.
  • Économie sous tension : Manque de bras, hausse du prix du pain et des denrées, pénurie de charbon. L’épicerie Latour adapte ses horaires et ses stocks en fonction des convois ferroviaires du front.
  • Rites et solidarités : Les prières collectives, les veillées, les quêtes au profit des blessés et prisonniers, rythment la vie. Sous la halle, des femmes rédigent collectivement des lettres pour les « Poilus » illettrés ou trop fatigués pour écrire.

La Croix de guerre à Vielmanay : parcours de soldats et réalités du front

Certains soldats vielmanaysiens reviennent décorés. Marcel Perrot, caporal au 56e RI, reçoit la Croix de guerre pour sa bravoure à Verdun en mars 1916. Les courriers officiels, précieusement conservés par la famille, témoignent d’un sentiment mêlé d’honneur et de culpabilité parmi les survivants, dans un contexte où chaque permission est endeuillée par la perte d’un camarade du pays.

Sur 42 mobilisés, 11 ne reviendront pas, soit presque 1 homme sur 4 : une hécatombe qui se lit sur la liste du monument aux morts (où l’on note les noms de familles encore présentes aujourd’hui : les Bernard, les Monnier, les Rougeot, etc.).

Quelques chiffres sur Vielmanay et la Nièvre pendant la Grande Guerre :

  • Population de Vielmanay en 1914 : environ 410 habitants
  • Mobilisés pour la guerre : Entre 38 et 45 selon les sources
  • Morts pour la France : 11 (monument aux morts communal, relevé MémorialGenWeb)
  • Blessés ou invalides : au moins 7, dont plusieurs gazés ou amputés
  • Dépopulation de la Nièvre 1911-1921 : – 19 000 habitants (source : INSEE, recensements 1911 & 1921)

L’absence, le deuil et la construction de la mémoire : le monument aux morts

En 1921, Vielmanay se rassemble pour inaugurer son monument aux morts – une stèle de pierre calcaire, financée pour moitié par souscription publique. L’émotion est palpable lors de la cérémonie : quelques témoignages écrits évoquent des veuves en noir, des familles déposant des fleurs séchées, des enfants apprenant par cœur la « Lettre du Poilu disparu ». Le monument est érigé à côté de l’église, symbole du chagrin partagé et du souvenir collectif.

  • L’inscription « À nos enfants morts pour la France » fait écho à celle de La Charité, mais chaque nom gravé parle d’un foyer endeuillé, d’une lignée brisée.
  • Chaque année, une cérémonie silencieuse réunit les derniers anciens combattants, puis les enfants des écoles, perpétuant – à leur manière – la mémoire des disparus.

Des impacts durables sur la société villageoise

La guerre bouleverse les structures familiales : de nombreux orphelins grandissent auprès de leurs grands-parents. Les veuves, parfois remariées, doivent s’adapter à des conditions d’existence précaires. On note parfois une redistribution des terres du fait du décès de jeunes exploitants agricoles (Archives notariales, fonds Girault, Lurcy-le-Bourg).

Sur le plan démographique, Vielmanay ne retrouvera jamais ses effectifs du début du siècle : la guerre creuse le déclin amorcé auparavant par l’exode rural. Le retour des blessés, mutilés, ou gazés est difficile, tant sur le plan physique que moral. De nouveaux liens se tissent cependant : les associations d’anciens combattants, les arbres de la Victoire plantés en 1919, les fêtes du 11 novembre témoignent d’une communauté résiliente, mais à jamais changée.

Fragments retrouvés : anecdotes et archives autour du conflit

  • Une lettre sauve des récoltes : En juillet 1917, le maire Alfred Lagrange reçoit une permission exceptionnelle pour deux soldats du village, afin d’assurer la moisson – une faveur rare et précieuse, signalée dans le registre de délibérations.
  • L’étonnante unité canine : Un « chien de guerre » dressé par un habitant de Vielmanay (le fermier Louvet) est proposé comme messager au 14e Corps d’armée, anecdote relevée dans la presse locale (« Le Courrier de la Nièvre », août 1915).
  • De la vigne à la tranchée : Deux frères Bouchaud, vignerons, inscrivent sur la poutre du pressoir « Ici, nous étions le jour de la déclaration de guerre. » Ils reviendront, mais leur vigne restera longtemps à l’abandon, témoignage d’une activité qui ne reprendra jamais vraiment son essor.

Mémoire et transmission : comment Vielmanay garde vivante l’histoire de 1914-1918 ?

Aujourd’hui, la trace la plus visible reste le monument aux morts, rénové en 2008. Mais la mémoire se transmet aussi, plus discrètement, lors des discussions à la sortie de la messe, des lectures à l’école, ou autour d’une photo jaunie sortie d’un tiroir. Les descendants de Poilus conservent médailles, lettres, portraits en uniforme, parfois des objets insolites comme une gourde cabossée ou un éclat d’obus : témoignages fragiles d’un passé douloureux.

  • La commune participe chaque année à la commémoration officielle du 11 novembre.
  • En 2018, pour le centenaire, une exposition a été organisée à la salle des fêtes, réunissant archives privées et objets d’époque prêtés par des familles du village.
  • Quelques projets pédagogiques rythment la vie scolaire, en partenariat avec les archives départementales de la Nièvre (https://archives.nievre.fr).

Pour aller plus loin : ressources et pistes d’approfondissement

  • Archives départementales de la Nièvre – série R (Guerre 14-18), registres matricules, délibérations municipales
  • Base MémorialGenWeb : relevé des morts pour la France du village
  • P. Marillier, « La Nièvre dans la Grande Guerre », 2012 (Bouquins de Bourgogne)
  • Revue « Les Annales du Pays Nivernais », dossier spécial 1914-1918, n°157, 2014
  • INSEE, recensements 1911, 1921 : évolution démographique liée au conflit
  • Courrier de la Nièvre, archives numérisées (BnF Gallica)

À Vielmanay, les cicatrices de la Grande Guerre ne sont pas seulement inscrites dans la pierre ou dans les archives : elles demeurent, à chaque génération, dans les gestes du souvenir, les récits transmis de bouche à oreille, la conscience de ce que l’histoire nationale doit à la ténacité des petits villages. La Grande Guerre a refermé une époque ; elle a aussi donné naissance à une mémoire locale vivace, toujours à redécouvrir.

En savoir plus à ce sujet :