Aux frontières du village : comment Vielmanay a dessiné et redessiné son territoire

16/08/2025

Marquer la terre et l’histoire : les premiers contours d’un village

Le dessin du territoire communal ne va pas de soi. Quand on marche aujourd’hui sur les chemins de Vielmanay, chaque haie, chaque fossé, chaque ferme semble là depuis toujours, comme si la carte avait été tracée d’un trait paisible. Pourtant, l’histoire de ces limites est faite de pas hésitants, d’enjeux parfois vifs, de décisions collectives et de compromis autant que de conflits.

Aux origines, Vielmanay, comme tant de villages nivernais, n’existait pas encore sous la forme d’une “commune”. Avant la Révolution de 1789, le territoire était défini par la paroisse, réalité à la fois religieuse et administrative, mais surtout mouvante. Dans le pouillé du diocèse de Nevers (XVe siècle), Vielmanay figure comme une paroisse dépendant de Prémery. Ses contours suivent alors surtout les droits seigneuriaux et le découpage des terres labourées ou forestières.

Une anecdote rapportée par l'abbé Baudin (1837), curé à Vielmanay, évoque le “champ de la Croix Morte”, petite enclave agricole qui jusqu’au XVIIe siècle faisait l’objet d’un litige tenace entre les familles Le Royer et Chesneau, déjà autour de la notion de limite foncière.

Des paroisses aux communes : la naissance administrative des limites

La Révolution française pose un jalon capital. En janvier 1790, le département de la Nièvre est créé et avec lui, le nouveau découpage communal. Vielmanay devient alors officiellement une commune (Archives départementales de la Nièvre). Les premiers arrêtés mentionnent “le territoire tel qu’il relevait de la fabrique de l’église”, c’est-à-dire sur la base des anciennes paroisses, mais les archives indiquent d’emblée quelques interrogations sur la démarcation des hameaux de Ménessaire et de Montabéraud.

  • À l’est, la limite longe la forêt de Donzy et s’appuie sur de vieilles bornes dites “de la Motte”.
  • Au sud, la rivière Nohain marque un élément naturel évident, mais les champs alluviaux, changeants, provoquent des incertitudes, notamment après les crues de 1802 et 1846, où le lit du cours d’eau se déplace sensiblement.
  • À l’ouest, la lisière avec Giry fait l’objet de relevés contradictoires jusqu’en 1822, comme en témoigne la correspondance entre les mairies et le sous-préfet de Cosne.

Le découpage issu de la Révolution n’est pas figé pour autant. Bien des ajustements seront encore nécessaires…

Quand les habitants font les frontières : anecdotes et procès de terroir

La vie ordinaire déborde souvent des textes officiels. Les délimitations sont d’abord affaire de repérage concret au sein du paysage. Jusqu’au XIXe siècle, les villageois organisent des “battues des limites” : munis de bâtons, ils suivaient collectivement les frontières pour vérifier l’intégrité du territoire, remettre en place une borne déplacée ou résoudre un conflit (témoignage oral recueilli auprès de Mme Guimard, 93 ans en 2010).

Le procès-verbal du 8 juillet 1805 signale un incident marquant. Au lieu-dit La Brosse, des laboureurs de Giry avaient débordé sur une parcelle vielmanaise. Les témoins convoqués évoquent “la pierre plantée au coin du champ de Renard, suffisamment claire depuis la génération de nos pères”. Mais la pierre, retrouvée renversée, suscite suspicions et récriminations. Après enquête et témoignages de cinq anciens du village, la pierre est redressée et une nouvelle “marque” gravée.

On sait aussi que, lors des veillées, les anciens racontaient l’histoire du “sou de la Limite”, une pièce de monnaie placée sous certaines bornes pour attester de leur origine : une tradition signalée dans plusieurs villages du Nivernais, dont Vielmanay (source : enquête orale, 2016, et Dictionnaire du Nivernais de J.-B. Lallemand, 1907).

Le cadastre et la précision : XIXe siècle, la terre en plans

La première grande opération de précision a lieu avec la mise en place du cadastre napoléonien, promulgué par l’ordonnance du 15 septembre 1807. À Vielmanay, le lever parcellaire est mené de 1825 à 1832 (Archives départementales, cadastre section C, planche 2).

  • 120 bornes officielles furent alors posées autour du territoire.
  • Chaque chemin, chaque “village” (et hameau : La Chaux, Les Ormes, Montabéraud, Ménessaire, Les Gauthiers…) voit sa place précisée.
  • Le plan cadastral recense alors 1512 hectares pour Vielmanay, chiffre qui ne grignote ni sur Arbourse ni sur Giry, mais qui intègre définitivement Ménessaire ainsi que le Bois de la Fleurie.

Les écarts entre plans cadastraux et perception villageoise persistent cependant : les habitants continuent à utiliser des repères ancestraux (“la haie du Prieur”, “l’arbre de la Croix-Blanche”) parfois oubliés des cartographes.

Henriettes, enclaves et exceptions : ajustements et singularités locales

Vielmanay, comme d’autres communes rurales, présente des anomalies à l’occasion des recensements et des plans cadastraux :

  • La “ferme de la Prunellerie” est signalée en 1868 comme rattachée à Vielmanay, puis recotée à Arbourse à la faveur d’un partage familial et d’une route nouvelle.
  • En 1883, le Bois de la Tuilerie, revendiqué par une société forestière de Donzy, fait l’objet d’un échange de lettres entre maires, préfet et conservateur des Eaux et Forêts ; la question n’est tranchée qu’après 1891.
  • Des parcelles dites “mitoyennes” avec Arbourse et Giry sont parfois exploitées par des familles vivant dans la commune voisine jusqu’au XXe siècle. Le cadastre de 1927 rectifie certaines de ces situations.

L’abbé Dubreuil, instituteur de Vielmanay au début du XXe siècle, mentionne dans ses notes une “vieille coupe de chêne appelée l’Enclave”, qui aurait autrefois échappé au fisc du village — et servi aux veillées clandestines pendant la guerre de 1870.

L’époque contemporaine : peu de changements, des enjeux nouveaux

Depuis 1945, le territoire communal ne connaît plus de vraie modification formelle. L’emprise cadastrale demeure stable : Vielmanay couvre aujourd’hui 15,08 km² (INSEE). Mais si les limites physiques changent peu, de nouveaux facteurs modifient la réalité territoriale :

  • La fusion intercommunale : Vielmanay rejoint la communauté de communes Cœur de Loire (datant de 2017), modifiant l’organisation administrative sans modifier les limites du village en tant que telles.
  • La fermeture de certains chemins ruraux (“chemin des Tisserands”, “chemin des Prés Verts”), officialisée par délibération municipale en 1974.
  • L’abandon progressif de la culture sur certaines bordures de forêt, laissant place à la friche ou au repeuplement forestier.

De nouvelles natures de limites surgissent : celles des réseaux électriques, de la fibre, ou encore du zonage Natura 2000, auquel le secteur du Nohain a été partiellement intégré.

Repères sensibles et mémoire du territoire

Au fil des générations, ces périmètres ne sont pas seulement une affaire de paperasserie. Ils gardent une résonance vive dans la mémoire villageoise. Certains chênes “limites”, plantés lors de la Révolution, sont encore signalés par les promeneurs avertis. Des fêtes de village intègrent des jeux ou des légendes liées aux frontières ("Qui franchira la borne ?"). Le “chemin de la Limite”, bordé de pierres moussues, était encore fréquenté par les écoliers de La Chaux jusque dans les années 1960.

Cette attention aux frontières révèle que, derrière le jeu des pouvoirs et des tracés officiels, il y avait et il reste des usages, des croyances, autant que des besoins concrets de communauté. Le territoire de Vielmanay peut apparaître figé sur une carte actuelle, il n’en demeure pas moins vivant dès que l’on prend la peine d’écouter ceux qui l’ont arpenté au fil du temps.

Pour aller plus loin : ressources et lectures

  • Archives départementales de la Nièvre (registres cadastraux, plans et arrêtés municipaux)
  • Pouillé du diocèse de Nevers, éd. CNRS
  • Lallemand, J.-B., Dictionnaire du Nivernais, 1907
  • Monographies d’école de Vielmanay (1887, 1898, consultables en mairie)
  • INSEE – Fiche commune Vielmanay

Approcher l’histoire locale, c’est aussi redonner à ces bornes, à ces haies, à ces anecdotes, tout leur relief. Quiconque s’intéresse à Vielmanay sait désormais qu’en suivant le chemin de la Limite, il marche dans les traces entremêlées des générations successives — celles qui ont défini, protégé et fait vivre le territoire.

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